Avortement et Finances – publié dans LE TEMPS

Avortement et finance (Article cité dans le Courrier International)

Surgi du passé avec son arsenal d’aiguilles à tricoter et d’arguments moraux assortis maintenant d’une panoplie «made in Switzerland» sur le droit des citoyen-ne-s à choisir ce qu’ils ou elles voudraient financer ou pas, le voici qui s’avance dans un habit blanc chaste, d’une pureté implacable, armé d’une patience et d’une ténacité véritablement efficaces. Le spectre de l’assujettissement que l’on croyait vaincu est bel et bien revenu

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Manifestations à Genève pour le maintien du droit à l’avortement en 2013

Changeons les couches dans les sex shops!

Sur la prostitution, le paradigme pornographique tout a été dit. Moi, la femme lambda, la mère casse bonbons derrière sa poussette, on ne m’a pas demandé ce que ça me fait de traverser les quartiers chauds et de croiser le regard des femmes y vendant leur « potentiel orgasmique ». Quand je croise un homme dans ce quartier, je ne sais jamais si c’est un client ou un gars qui passe par là comme moi. Je me demande comment je dois me conduire, où regarder, je suis empruntée.

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Genève c’est petit, et pour aller au lac, on passe parfois par les Pâquis, où il n’y a pas que les TDS (travailleuses du sexe)  qui valent le détour. On voit pas mal d’intégral à Genève, parfois c’est du voile, parfois c’est du nu. Vive le choix et la liberté. Quelle est ma place au juste, celle qui concilie famille et travail, celle que je cherche au pinacle du plafond de verre et que je ne trouve jamais?

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Travail, travailleuse, moi je veux bien, si elles le veulent.

Par contre le client qui goguenard me crache son « C’est combien? » à la figure, à moi, encadrée de mes enfants leurs quenottes à la main et leur bouille éberluée à mes cotés, ben, non ça je veux pas vraiment. Mais personne ne vient me le demander. Je n’ai aucun moyen de savoir comment éviter ces gugus lubriques qui vont aux putes, sauf les plus courageux qu’on connait pour avoir  signé le manifeste des 343 salauds:

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Avec mes mômes, ma liberté de circuler se restreint comme peau de chagrin. Les mémés du tram m’injurient quand je ne leur refourgue pas ma place. Ok, le  junkie affalé l’oeil trouble sur son siège est moins ragoûtant que moi la casse-bonbon à poussette. Je n’ai accès ni au cinéma réglementé par de très strictes tranches d’âges, ni à la disco, ni au bistrot, et avec mon bébé, je me suis déjà vue refuser l’accès au Grand Théâtre. Faudrait pas casser l’ambiance aux privilégiées du porte monnaie qui peuvent débourser pour du baby-sitting. Moi, la femme lambda, votre mère bien obligée, je croise pourtant de jolies escorts promenant leurs guiboles aiguillées de strass dans les salons hypes de la haute horlogerie. Leurs clients statistiquement plus nombreux  sont invisibles. Cacher ces hommes qui ne sauraient se faire voir! Je les croise sans savoir jamais qu’ils sont clients, même quand ils atterrissent dans ma vie affublé d’un parachute et d’un kit de survie en ménage, qui se résume à cacher, dissimuler, mentir.  Ils sont peut être mon ami, mon père, mon collègue, mon amant, mon mari, mon boss et je n’en sais rien. Normal, c’est privé, les MST (maladies sexuellement transmissibles) aussi c’est connu ça reste bien cantonné au chaud dans les quartiers X. Par contre moi, la mère lambda, j’ai du faire dix mille tests pour être sûre de ne pas contaminer mon futur bébé. C’est normal, mon ventre est une machine sur commande, muselé pour la contraception, stérilisé pour la prostitution, stimulé pour l’ovulation, vilipendé pour ses productions incontrôlables.

Pour moi et mes moutards pas d’espace privé quand je déambule dans l’espace public. Pourquoi est-ce à moi de les planquer? Comment éviter ce qui campe sur la moindre des affiches de pub?

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Toute chose inconcevable devant les yeux d’un enfant est peut être une chose inconcevable tout court.  Est-il besoin d’enrober mignonne d’une gelée de rose pour lui cacher les épines de la vie?

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Pas besoin de lois pour cela, ni de réglementation, normalement. Juste un peu de savoir vivre, de bon sens. Peut-être ‘un père Camusien martelant à son fils « un homme ça s’empêche ». Celui là est cependant introuvable dans le bataillon des partouzards, qui comptent sur les mères de leur descendance pour les préserver d’avoir à croiser leurs filles dans les petites chambres où ils vont se délester de leurs troubles compulsifs. Certaines filles comme  Nelly Arcan se mettent à les poursuivre dans la vraie vie, ne pouvant faire face à leur attitude ambiguë vis à vis des femmes, qui consiste à laisser paraître en public un homme respectant les femmes, pour exploiter en privé des « femmes vulves ». Jusqu’au suicide, prises dans les filets du paraître séduire dans ce paradigme pornographique qui nous explose à la figure partout. Chez soi, dehors, dedans, partout, impossible d’être assexuel. La burkha de chair est l’apanage occidental des femmes.

Les adeptes du plaisir dit libertin, partent du principe que c’est à moi, la mère lambda  impuissante et toujours responsable de savoir cartographier l’espace public pour éviter de rencontrer ce dont je devrais préserver mes enfants, sous peine d’être estampillée mauvaise mère. J’aurais bien voulu être sympa, aller parler aux fleurs du pavé, leur offrir un café. En vérité j’ai souvent peur d’être perçue comme hostile à leur endroit. Bref, sur le trottoir des filles publiques, on n’est pas libres de nos gestes, nous les nanas lambdas du privé. Pourtant on aurait des choses à se raconter, des petites histoires croustillantes sur ces hommes qui croisent nos chemins dans des mondes parallèles. Imagine Nafitassou et Anne Sinclair, attablée à une terrasse, et DSK qui passe, dans sa berline.

Je sais que le mariage dont je me suis affublée pour « être protégée » me rend égale à leur pratique, je sais que ce que j’appelle la « galanterie » m’enchaîne peut être plus longtemps à mon bienfaiteur que le bifton qui passe de main en main après une passe. Je me demande souvent si j’aurais pu me sentir obligée de faire ce qu’elles font pour survivre. Je ne me demande jamais si j’aurais voulu.  Sincèrement je ne peux pas me mettre à leur place, où se mettraient-elles sinon?

Allons changer nos couches dans les sex shops, allons faire pisser nos chiens dans les quartiers chauds, investissons les avec nos poussettes.  Foresti nous a montré la voie de Zara pour s’échapper du parc en catimini, mais prenons plutôt l’autoroute. Que les mamans pachydermes, putes pu pas putes sortent de leur caverne et investissent l’espace public de façon massive, une fiesta diurne d’indignéEs. Il paraît que la mémoire olfactive est la plus tenace à long terme, allons marquer le territoire du chaud lapin planqué.