Je suis Marie

Hier c’était l’anniversaire de la mort de Marie Trintignant. Au Père Lachaise j’ai retrouvé des gentes des Chiennes de garde, de Zéro Macho et de « Encore féministes, aussi longtemps qu’il le faudra ». Pour l’instant, ces groupes féministes étaient de l’ordre de la pénombre virtuelle sur Face Book pour moi. Voici, le rideau se lève, le virtuel s’ouvre sur des visages. Avant qu’illes arrivent tou-te-s j’ai pleuré. J’ai erré dans le cimetière du Père Lachaise, hagarde, saisie d’angoisse même devant la tombe de Colette.

IMG_0355Plus haut, les touristes défilent devant la tombe de Marie, placée à coté de celle de Gilbert Bécaud. Le guide explique l’actrice, son enterrement aux cotés du compagnon de sa mère. Rien rien sur la violence conjugale. Rien sur le fait que c’est l’anniversaire de sa mort. Aucun traitement de l’évènement « mort » aucune remise en contexte. Rien. Les tombes autour sont fleuries, celle de Gilbert Becaud attire, celle de Marie est blanche, nue, triste à mourir.
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Ce n’est pas l’acte de Cantat qui me fait mal (même s’il me fait mal), c’est l’oubli de la violence faites aux femmes, l’enterrement profond et la mise en veilleuse rapide dans ce contexte patriarcal de tout ce qui vient des femmes violentées elles-mêmes. les expert-e-s, les pros, les psy font des colloques, les assistant-e-s socia-les-ux montent des associations, mais RIEN ne vient des victimes elles-mêmes, elles n’ont pas de communauté, d’appartenance, de lieux de resources déconstruits et reconstruits selon leurs propres termes.. En Inde on a le gang des saris roses, en Europe on a quoi?
Que se passerait-il si les victimes ne se laissaient pas – n’étaient pas forcées de se faire oublier en tout petit catimini? Si on ne pouvait plus oublier, les hommes réfléchiraient indéfiniment et suspendraient leur geste.
C’est pourquoi je salue François Cluzet, le père d’un des fils de Marie qui avait 10 ans au moment du meurtre (pardon – pour être politiquement correcte il faudrait dire « homicide involontaire » puisque c’est ainsi que le crime fut juridiquement qualifié par les tribunaux de justice). François Cluzet qui souligne la souffrance de l’enfant orphelin, ses possibles dérives et velléités de vengeance, sa fragilité induite par la disparition de ce pillier maternel dans sa vie. François qui dit et fait publier, François si discret ne se tait pas et dit « Non, je ne pardonnerai jamais.» Avant d’enchaîner: «Je ne pardonne pas aux gens qui frappent les femmes, qui les tuent ». http://www.lefigaro.fr/…/03002-20150615ARTFIG00129-francois…
Moi non plus je ne pardonne pas à notre société d’enterrer les violences conjugales, de les minimiser, de les rendre historiquement invisible. Je voudrais soulever la tombe de Marie avec un ras de marée de nos larmes – nous les cartographiées victimes condamnées à la camisole de parole, nous quand on nous dit: tourne la page, ne soit pas angoissée, pense à tes enfants.
François Cluzet, montre par cette prise de position – en pensant par ailleurs à l’enfant – que l’oubli n’est pas possible, il n’est pas possible à moins de le cantonner dans une sphère strictement privée (préfabriquée rhétoriquement pour ségréguer la saine colère subversive des femmes qui devient alors « hystérie » ou « folie » – cf Camille Claudel) d’où lui en tant qu’homme célèbre est légitimé pour parler, mais pas moi en tant que femme mère et victime.
Oui, je voudrais pleurer et pleurer, devant ta tombe c’est mon désespoir qui me submerge, un gouffre au bord duquel le bout des mes doigts de pieds est en équilibre instable. Le problème, ce n’est pas Cantat ou l’homme violent, le problème c’est nous tout autour qui voulons vite vite au nom du « positif » du « tourner la page  » du « pardon religieux » oublier et ne plus parler de ce qui est la fabrique du faible sexe des victimes. Si elles n’étaient pas faibles, elles parleraient, non? Alors il faut les faire taire, les reléguer dans des espaces de traitement psy, de médiations écrabouillantes, de travail en réseau dénigrant, et si tout cela ne marche pas, dans une tombe

Au Père Lachaise, nous étions une poignée. Sur Twitter quelques témoignages poignants ont émergé :

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Nous sommes Marie, aussi.